L’appli NappyMe : uberisation, nappy-washing ou réelle révolution pour la coiffure afro?

« On prédit déjà un carton plein pour cette application qui va révolutionner la beauté des cheveux afros ».  La semaine dernière, plusieurs sites reprenaient l’information.  La révolution.  Rien de moins.  Il n’en fallait pas plus pour m’intriguer et voir ce qui se cache derrière le concept.

Le coiffeur afro 2.0

NappyMe est un site web et une application mobile.  Il permet aux femmes afros, afro-caribéennes et afro-américaines d’entrer facilement en contact pour s’échanger des services de coiffure et autres soins de beauté (maquillage, coiffure, etc…) à des prix très concurrentiels.

NappyMe est le concept innovant né d’une équipe super dynamique de jeunes entrepreneurs africains vivant à Paris, diplômés de grandes écoles de commerce et d’ingénieurs françaises.  Ils connaissent parfaitement la communauté à laquelle ils s’adressent ainsi que leurs problématiques en termes de beauté.

Ce projet communautaire qui s’inscrit dans la mouvance de la sharing economy  a vocation à fonctionner comme un carnet de contact permettant la mise en relation des clientes et des ambassadrices de beauté et de bien-être.

Concrètement, les prestataires (ambassadrices) mettent leurs réalisations en ligne (toutes vérifiées par un modérateur).  Sur cette base, la cliente contacte le prestataire pour fixer un rendez-vous et les conditions de la prestation commandée (lieu, prix).

Pour valider la qualité des unes et des autres, un système de notations et commentaires permettra aux membres de s’auto-évaluer après chaque rendez-vous. Si un membre reçoit plusieurs commentaires négatifs, son compte sera automatiquement supprimé.

Étant en phase pilote, NappyMe est actuellement gratuit.  Les prestations se paient directement auprès du prestataire. La cliente et le prestataire assument donc entièrement les risques concernant notamment les annulations de dernière minute ou le non-paiement de la somme d’argent demandée.  Par la suite, les utilisateurs effectueront directement les paiements via l’application mobile.

Si le lancement est prévu à Paris, un déploiement progressif en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique est envisagé.

Uberisation de la coiffure afro

L’uberisation.  Aucun secteur n’y échappe ! L’industrie du bien-être et de la beauté aussi voit ses circuits traditionnels de distribution, de communication et la façon de consommer de ses clients bouleversés par le web et les applications mobiles.  Le système, initialement prévu pour favoriser les échanges, s’institutionnalise.   Les services ‘à la demande’, réalisés par des professionnels ou des prestataires occasionnels, explosent.  Il y a plusieurs raisons à cela.

Pour le client : de nombreux avantages !  Un service généralement moins cher, des plages horaires mieux adaptées (soirée et weekend), un gain de temps couplé à une diminution des déplacements (prestations pouvant se faire à domicile), les avis d’autres utilisateurs…

Pour les prestataires occasionnels : le moyen de se faire connaitre et de gagner de l’argent sans devoir investir dans une surface commerciale ou de gros budgets publicitaires.  A terme, avec le pré-payement des prestations, un moyen d’éviter le manque à gagner du aux annulations de dernière minute.

Pour les professionnels, la musique est différente et une certaine inquiétude se répand.  Ils voient ces prestataires occasionnels comme une réelle concurrence.  Une concurrence déloyale qui plus est.  Des prestataires dont l’identité est dissimulée derrières un pseudo, sans qualification ou diplôme officiel (certains soins esthétiques sont réglementés), sans charges sociales, sans TVA, sans respect des normes d’hygiènes imposées par la profession…  Bref, des prestataires qui ne jouent pas avec les mêmes règles du jeu qu’eux.  A l’instar des taximen, verra-t-on bientôt des manifestations de coiffeuses dans les rues de Paris ? 😉

« Nappy washing ».

Autre terme (et mouvement) aussi tendance que lucratif : la « nappy » sphère, dont nous vous parlions il y a quelques mois.  Pur produit de la communauté afro de la génération Y, le mouvement est et né en ligne, sur les blogs.  Il est donc historiquement hyper connecté et forme une communauté habituée à acheter (beaucoup !) en ligne, au do-it-yourself et aux échanges informels.  NappyMe axe d’ailleurs beaucoup sa communication sur cette convivialité.

Comme l’indique Aïda-Marie Sall dans son article sur la libération du cheveu afro, « l’un des principes fondateurs du mouvement nappy est de permettre aux personnes qui l’embrassent de se sentir en accord avec leur identité et d’être dans le respect de leur naturalité. Plus question dès lors qu’on adopte cette posture, de consommer des produits de cosmétiques capillaires néfastes ou inadaptés pour les cheveux crépus et frisés ».  Fière d’être noire, la Nappy girl est Natural & Happy !

Les puristes trouveront donc très discutable le choix du nom « NappyMe » pour une application qui fait largement la promotion des tissages et défrisages dans ses visuels.  Même le logo représente une silhouette au nez pointu et aux longs cheveux lisses… pas Nappy du tout !

D’où la suspission de ‘nappywashing’ qui plane sur cette application.  Une (im)posture plus qu’un réel partage des valeurs nappy.  Un peu comme ces entreprises qui se parent des codes du développement durable juste pour être dans l’air du temps, sans pour autant faire un réel travail sur leur impact écologique.  Du ‘greenwashing’.  Du marketing.

Chez NappyMe, Ange Bouable nous indique toutefois qu’il faut davantage prendre le terme nappy dans sa traduction littérale signifiant ‘crépus’.   En effet, « NappyMe s’adresse à la communauté afros et aux coiffures afros qui ne se limitent pas au port de l’Afro libre mais à un plus grand nombre de coiffures, sans exception ».

 

  • Les personnes intéressées peuvent d’ores et déjà devenir membres de la communauté NappyMe et profiter des avantages du réseau en s’inscrivant en ligne sur www.nappyme.com

 

USA: une licence pour faire des tresses

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Aux Etats Unis, des centaines de coiffeuses originaires d’Afrique subsaharienne spécialisées dans le tressage se mobilisent contre une récente législation les obligeant à suivre une formation jugée trop longue et trop onéreuse.

Il y a les « pour »…

Désormais, dans  une quarantaine d’états, toute tresseuse devra être titulaire d’une licence sous peine de se voir infliger des amendes allant jusqu’à 2500 USD par infraction. Cette licence, créée  sous la pression des lobbys du secteur de la coiffure, a pour but d’encadrer la qualité de la technique et les normes d’hygiène des praticiennes.  Les tresseuses sont donc, en toute équité, soumises aux mêmes normes que les toutes les coiffeuses et les esthéticiennes.

Augmenter le niveau qualitatif d’un secteur grâce à la formation est une bonne chose en soi.  En effet, la pratique n’est pas sans risque car le tressage peut provoquer des allergies de contact (mèches synthétiques) et des alopécies dues à la traction exercée sur les cheveux et à l’impossibilité de nettoyer ses cheveux sous les tresses et les tissages.

… mais il y a aussi les « contre »!

Rassemblées en collectifs (notamment Braiding Freedom), les coiffeuses s’organisent et montent au créneau.  Leurs avocats ont déjà réussi à faire supprimer ou « alléger » l’octroi de cette licence dans certains états (Washington, New-York, Utah, Arkansas) en avançant plusieurs arguments.

  • La sécurité : le tressage est un acte simple, sûr. Les tresseuses n’utilisent pas de produits chimiques défrisant ou colorant.  Elles ne mouillent même pas les cheveux des clientes.
  • La culture : le tressage est une pratique traditionnelle, transmise de génération en génération dès le plus jeune âge. Le moment du tressage crée aussi du lien social, c’est un moyen de passer un moment convivial entre femmes : on rigole, on discute des heures durant.
  • L’expérience : il n’existe pas de système de VAE (validation des acquis par l’expérience) qui permettrait à celles pouvant prouver une pratique de plusieurs années de bénéficier automatiquement de la licence.
  • Le cout et la durée des études pour obtenir cette licence sont jugés excessifs. Selon les états, cela varie entre 40h et 2ans et le minerval de certaines écoles privées peut aller jusque 20000usd.
  • Le niveau scolaire : souvent, ces licences exigent l’équivalent d’un diplôme d’une école américaine. De nombreux immigrants africains n’ont tout simplement pas la maîtrise de la langue et ce niveau d’éducation.