Eclaircir sa peau. Comment même l’évoquer sans s’attirer les foudres des afro-féministes, des dermatologues, des sociologues ou même des Nappy girls ? Loin d’être une particularité africaine, le blanchiment est une pratique qui touche aussi des millions de femmes asiatiques (de l’Inde au Japon). Paradoxalement, c’est un sujet quasi tabou chez celles et ceux qui ont recours à ces crèmes, savons et autres injections !
Mélanine et tyrosinase : au cœur de la pigmentation.
Pourquoi la peau est-elle foncée ? Contenus dans les mélanocytes du derme, les mélanosomes renferment des grains de mélanine, un pigment foncé. Sous l’action d’une enzyme, la tyrosinase, les mélanosomes sont envoyés depuis les mélanocytes vers les kératinocytes où ils colorent les couches supérieures de la peau. Les peaux noires, génétiquement programmées pour évoluer dans un milieu ensoleillé, contiennent des mélanosomes en nombre et taille plus importants. Cet afflux de mélanine protège nos cellules contre les effets nocifs des rayons UV du soleil.
Pour blanchir la peau, on inhibe le processus de mélanogénèse en supprimant l’action de la tyrosinase grâce à des principes actifs mélanobloquants tels que : l’Hydroquinone (interdite en Europe, et, de plus en plus, en Afrique aussi), l’acide kojique, l’acide azelaïque , la glabridine, l’arbutine…
Pourquoi se blanchir la peau ?
La raison principale invoquée est la question esthétique. En effet, d’une part, le modèle de beauté universellement diffusé est celui d’une femme à la peau claire. D’autre part, les peaux foncées présentent souvent des taches d’hyperpigmentation que l’on veut atténuer pour harmoniser son teint.
Au-delà de cela, il y a surtout une raison sociale à cette volonté de blanchiment de la peau. Dans un contexte postcolonial et de discrimination raciale, avoir la peau claire (et/ou des cheveux lisses et/ou blonds et/ou des yeux clairs) est associé à la réussite sociale, professionnelle et amoureuse.
Se blanchir jusqu’à y laisser sa peau.
Pourtant, utiliser des crèmes éclaircissantes est risqué en bien des points.
- Dangers pour la santé : la fonction protectrice de la peau est supprimée. On voit apparaitre des cas de cancer de la peau chez les femmes africaines. Les produits contenant de la cortisone peuvent provoquer une hypertension artérielle, une insuffisance rénale, un diabète, la perturbation du cycle menstruel ou encore des problèmes osseux…
- Un résultat souvent fort inesthétique : dépigmentation irrégulière « en confettis », hyperpigmentation (visage, main, coudes, genoux), vergetures, acné, poils, odeurs corporelles nauséabondes…
- La double dépendance : impossibilité d’arrêter l’application des produits. D’une part, on constate une dépendance physique aux corticoïdes dont l’arrêt provoque une sensation d’anxiété, de dépression, d’envies suicidaires. D’autre part, le fait d’arrêter fait refoncer la peau presque du jour au lendemain.
- Problèmes psychologiques et identitaires: les femmes utilisant des produits éclaircissant éprouvent parfois un lourd sentiment de culpabilité car se blanchir équivaut à dire à la communauté qu’elles ont honte d’être Noire. Elles ont le sentiment de tourner le dos à qui elles sont, à leur famille, à leurs racines, à leur culture. Certaines, pour s’intégrer, vont jusqu’à appliquer des produits sur leurs jeunes enfants ! Et malgré tous ces « efforts » pour modifier sa couleur de peau, elles n’en restent pas moins Noires.
- Coûts : le budget consacré à l’achat des produits n’est pas négligeable.
Vers une loi d’interdiction totale…
Alors, compte tenu de tous ces dangers, pourquoi ne pas carrément interdire tous les produits éclaircissants ? En Europe, aux USA et en Afrique, la législation interdit depuis plusieurs années l’utilisation de certains actifs éclaircissants, notamment l’hydroquinone. On la retrouve néanmoins toujours dans de nombreux produits dont les emballages ne donnent que très peu d’informations (actifs, concentrations, origine…).
Concernant une interdiction totale, certains spécialistes avancent que cela pourrait être contre-productif. Cela pousserait les consommateurs vers des produits frauduleux ou des préparations artisanales bon marché, comme la Javel qui sont bien pires encore !
… ou vers une pratique encadrée par des médecins?
Entre vraie réponse thérapeutique et segment de marché lucratif, les dermatologues et les médecins esthétiques se sont aussi positionnés en interlocuteur crédible sur la question du blanchiment de la peau.
Ils ont tout d’abord un rôle curatif car atterrissent chez eux toutes les peaux meurtries par des années de pratique du blanchiment. Ils proposent des soins réparateurs puis traitant au laser ou à base de peelings chimiques et mécaniques.
Ils ont ensuite des techniques d’éclaircissement plus invasives et au résultat plus uniforme, notamment avec l’injection en intraveineuse de solutions mélanobloquantes, par exemple, le glutathion, un antioxydant puissant (initialement pour traiter la maladie de Parkinson). Cette technique est excessivement chères et potentiellement dangereuses (systèmes digestif et nerveux).
Entre ces deux extrêmes : les acteurs du secteur cosmétique.
Une multitude de marques africaines, afro-américaines ou afropéennes vendent des cosmétiques sous forme de savons, de crèmes pour le corps et le visage, de sérums, de compléments alimentaires… Au mieux, un éclaircissement léger et des actifs qui jouent d’avantage sur le renouvellement cellulaire et l’éclat du teint. Au pire, des crèmes ultra-nocives qui détruisent la peau des utilisateurs.
Les marques généralistes (tel L’Oréal) sont assez frileuses dans ce domaine. A l’heure du politiquement correct et de la « beauté globale », il est éthiquement difficile de s’aventurer sur le terrain racial du blanchiment. On parlera plus volontiers de soin « éclat » que de « blanchiment ».
Pourtant, au même titre que l’auto-bronzant ou le spray-tan (douche auto-bronzante) qui colorent la peau sans les effets nocifs du soleil, face à ce marché gigantesque, celui qui trouvera une formule de soin efficace, rapide, spectaculaire, accessible et sans aucun danger gagnera des milliards de dollars. !
La troisième voie : l’estime de soi et le bon sens.
Face à tout cela, la voie la plus sage est encore de miser sur l’éducation. L’éducation face aux dangers du blanchiment. L’éducation à l’esprit critique face au matraquage publicitaire de l’industrie des cosmétiques ou du show-business. Et surtout, l’éducation à l’estime de soi. S’aimer telle que l’on est et prendre soin de sa peau afin de la préserver le plus longtemps possible.
Pour terminer, quelques conseils simples pour une belle peau : la nettoyer quotidiennement, exfolier les cellules mortes régulièrement, se protéger du soleil, s’hydrater, la sublimer avec des cosmétiques naturels de qualité.
VIDEO: voici pour terminer un excellent reportage du Magazine de la Santé sur France 5 traitant du sujet.